jeudi 28 février 2013

La Belle Aux Cheveux D’Or




Par Madame d’Aulnoy


Il était une fois la fille d’un roi qui était si belle qu’il n’y avait rien de si beau au  monde. On la nommait la Belle aux Cheveux d’Or car ses cheveux étaient plus fins que de l’or et blonds par merveille, tout frisés, qui lui tombaient jusque sur les pieds. Elle allait toujours couverte de ses cheveux bouclés, avec une couronne de fleurs sur la tête et des habits brochés de diamants et de perles, si bien qu’on ne pouvait  la voir sans l’aimer.
Il y avait un jeune roi de ses voisins qui n’était point marié, et qui était bien fait et bien riche. Quand il eut appris tout ce qu’on disait de la Belle aux Cheveux d’Or, bien qu’il ne l’eût point encore vue, il se prit à l’aimer si fort, qu’il en perdait le boire et le manger, et il se résolut de lui envoyer un ambassadeur pour la demander en mariage. Il fit faire un carrosse magnifique à son ambassadeur ; il lui donna plus de cent chevaux et cent laquais et lui recommanda bien de lui amener la princesse.
Quand il eut pris congé du roi et qu’il fut parti, toute la cour ne parlait d’autre chose, et le roi, qui ne doutait pas que la Belle aux Cheveux d’Or ne consentît à ce qu’il souhaitait, lui faisait déjà faire de belles robes et des meubles admirables. Pendant que les ouvriers étaient occupés à travailler, l’ambassadeur, arrivé chez la Belle aux Cheveux d’Or, lui fit son petit message.
Mais, soit qu’elle ne fût pas ce jour-là de bonne humeur ou que le compliment ne lui semblât pas à son gré, elle répondit à l’ambassadeur qu’elle remerciait le roi, mais qu’elle n’avait point envie de se marier.
L’ambassadeur partit de la cour de cette princesse, bien triste de ne la pas amener avec lui ; il rapporta tous les présents qu’il avait portés de la part du roi, car elle était fort sage, et savait bien qu’il ne faut pas que les filles reçoivent rien des garçons. Aussi elle ne voulut jamais accepter les beaux diamants et le reste et, pour ne pas mécontenter le roi, elle prit seulement un quarteron d’épingles d’Angleterre.
Quand l’ambassadeur arriva à la grande ville du roi, où il était attendu si impatiemment, chacun s’affligea de ce qu’il n’amenait point la Belle aux Cheveux d’Or. Le roi se mit à pleurer comme un enfant : on le consolait sans en pouvoir venir à bout.
Il y avait un jeune garçon à la cour qui était beau comme le soleil et le mieux fait de tout le royaume, à cause de sa bonne grâce et de son esprit, on le nommait Avenant. Tout le monde l’aimait, hors les envieux, qui étaient fâchés que le roi lui fit du bien et qu’il lui confiât tous les jours ses affaires.
Avenant se trouva avec des personnes qui parlaient du retour de l’ambassadeur, et qui disaient qu’il n’avait rien fait qui vaille. Il leur dit, sans y prendre garde : « Si le roi m’avait envoyé vers la belle aux Cheveux d’Or, je suis certain qu’elle serait venue avec moi. »
Tout aussitôt ces méchantes gens vont dire au roi : « Sire, vous ne savez pas ce que dit Avenant ? Que, si vous l’aviez envoyé chez la Belle aux Cheveux d’Or, il l’aurait ramenée. Considérez biens sa malice, il prétend être plus beau que vous, et qu’elle l’aurait tant aimé, qu’elle l’aurait suivi partout. »
Voilà le roi qui se met en colère, en colère tant et tan, qu’il était hors de lui. « Ha ! ha ! dit-il ce joli mignon se moque de mon malheur, et il se prise plus que moi. Allons, qu’il le mette dans ma grosse tour et qu’il y meurt de faim. »
Les gardes du roi furent chez Avenant qui ne pensait plus à ce qu’il avait dit. Ils le trainèrent en prison et lui firent mille maux. Ce pauvre garçon n’avait qu’un peu de paille pour se coucher et il serait mort sans une petite fontaine qui coulait dans le pied de la tour, dont il buvait un peu pour se rafraichir, car la faim lui avait bien séché la bouche
Un jour qu’il n’en pouvait plus, il disait en soupirant : « De quoi se plaint le roi ? Il n’a point de sujet qui lui soit plus fidèle que moi, je ne l’ai jamais offensé. » Le roi, par hasard, passait près de la tour, quand il entendit la voix de celui qu’il avait tant aimé, il s’arrêta pour l’écouter, malgré ceux qui étaient avec lui, qui haïssaient Avenant et qui disaient au roi : « A quoi vous amusez-vous Sire ! Ne savez-vous pas que c’est un fripon ? » Le roi, répondit : « Laissez-moi là, je veux l’écouter. » Ayant ouï ses plaintes, les larmes lui vinrent aux yeux. Il ouvrit la porte de la tour et l’appela.
Avenant vint tout triste se mettre à genoux devant lui et baisa ses pieds : « Que vous ai-je fait, sire, lui dit-il, pour me traiter si durement ?
-Tu t’es moqué de moi et de mon ambassadeur. Tu as dit que, si je t’avais envoyé chez la Belle aux Cheveux d’Or, tu l’aurais bien amenée.
-Il est vrai sire, répondit Avenant, que je lui aurais si bien fait connaitre vos grandes qualités, que je suis persuadé qu’elle n’aurait pu s’en défendre et en cela, je n’ai rien dit qui ne vous dût être agréable. »
Le roi trouva qu’effectivement il n’avait point tort, il regarda de travers ceux qui lui avaient dit du mal de son favori et il l’emmena avec lui, se repentant bien de la peine qu’il lui avait faite.
Après l’avoir fait souper à merveille, il l’appela dans son cabinet et lui dit : « Avenant, j’aime toujours la Belle aux Cheveux d’Or, ses refus ne m’ont point rebuté, mais je ne sais comment m’y prendre pour qu’elle veuille m’épouser, j’ai envie de t’y envoyer pour voir si tu pourras réussir. »
Avenant répliqua qu’il était disposé à lui obéir en toutes choses et qu’il partirait dès le lendemain.
« Oh ! dit le roi, je veux te donner un grand équipage.
-Cela n’est point nécessaire, répondit-il, il ne me faut qu’un bon cheval, avec des lettres de votre part. »
Le roi l’embrassa, car il était ravi de le voir sitôt prêt.
Ce fut le lundi matin qu’il prit congé du roi et de ses amis, pour aller à son ambassade tout seul sans pompe et sans bruit. Il ne faisait que rêver aux moyens d’engager la Belle aux Cheveux d’Or à épouser le roi. Il avait une écritoire dans sa poche, et, quand il lui venait quelque belle pensée à mettre dans sa harangue, il descendait de cheval et s’asseyait sous des arbres pour écrire, afin de ne rien oublier. Un matin, qu’il était parti à la petite pointe du jour, en passant dans une grande prairie, il lui vint une pensée fort jolie, il mit pied à terre et se plaça contre des saules et des peupliers qui étaient plantés le long d’une petite rivière qui coulait au bord du pré. Après qu’il eut écrit, il regarda de tous côtés, charmé de se trouver en un si bel endroit.
Il aperçut sur l’herbe une grosse carpe dorée qui bâillait et qui n’en pouvait plus, car, ayant voulu attraper de petits moucherons, elle avait sauté si hors de l’eau, qu’elle s’était élancée sur l’herbe où elle était près de mourir. Avenant en eut pitié et, quoiqu’il fut jour maigre et qu’il eût pu l’emporter pour son diner, il fut la prendre et la remit doucement dans la rivière. Dès que ma commère la carpe sent la fraîcheur de l’eau, elle commence à se réjouir et se laisse couler jusqu’au fond, puis, revenant toute gaillarde au bord de la rivière : « Avenant, dit-elle, je vous remercie du plaisir que vous venez de me faire ; sans vous, je serais morte et vous m’avez sauvée. Je vous le revaudrai. » Après ce petit compliment, elle s’enfonça dans l’eau et Avenant demeura bien surpris de l’esprit et de la grande civilité de la carpe.
Un autre jour qu’il continuait son voyage, il vit un corbeau bien embarrassé : ce pauvre oiseau était poursuivi par un gros aigle (grand mangeur de corbeau) : il était près de l’attraper et il l’aurait avalé comme une lentille, si Avenant n’eût éprouvé de la compassion pour cet oiseau. « Voilà, dit-il, comme les plus forts oppriment les plus faibles : quelle raison à l’aigle de manger le corbeau ? » Il prend son arc qu’il portait toujours, et une flèche, puis, visant bien l’aigle, croc ! Il lui décoche la flèche dans le corps et le perce de part en part. L’aigle tombe mort, et le corbeau, ravi, vient se percher sur un arbre. « Avenant, lui dit-il, vous êtes bien généreux de m’avoir secouru, moi qui ne suis qu’un misérable corbeau, mais je ne demeurerai point ingrat, je vous le revaudrai. »

Avenant admira le bon esprit du corbeau et continua son chemin. En entrant dans un grand bois, si main qu’il ne voyait qu'à peine son chemin, il entendit un hibou qi criait en hibou désespéré. « Ouais !dit-il, voilà un hibou bien affligé ; il pourrait s’être laissé prendre dans quelque filet. » Il chercha de tous côtés et enfin il trouva de grands filets que des oiseleurs avaient tendus la nuit pour attraper des oisillons. « Quelle pitié ! dit-il ; les hommes ne sont faits que pour s’entre-tourmenter ou pour persécuter de pauvres animaux qui ne leur font ni tort ni dommage. »
Il tira son couteau et coupa les cordelettes. Le hibou prit l’essor, mais, revenant à tire-d’aile : « Avenant, dit-il, il n’est pas nécessaire que je vous fasse une longue harangue pour vous faire comprendre l’obligation que je vous ai ; elle parle assez d’elle-même : les chasseurs allaient venir, j’étais pris, j’étais mort sans votre secours. J’ai le cœur reconnaissant, je vous le revaudrai. »
Voilà les trois plus considérables aventures qui arrivèrent à Avenant dans son voyage. Il était si pressé d’arriver, qu'il ne tarda pas à se rendre au palais de la Belle aux Cheveux d’Or. Tout y était admirable ; l’on y voyait les diamants entassés comme des pierres ; les beaux habits, le bonbon, l’argent ; c’étaient des choses merveilleuses et il pensait en lui-même que, si elle quittait tout cela pour venir chez le roi son maître,  il faudrait qu'il ait bien de la chance. Il prit un habit de brocart, des plumes incarnates et blanches, il se peigna, se poudra, se lava le visage, mit une riche écharpe toute brodée à son cou, avec un petit panier, et dedans un beau petit chien qu'il avait acheté en passant à Bologne. Avenant était si bien fait, si aimable, il faisait toute chose avec tant de grâce, que, lorsqu’il se présenta à la porte du palais, tous les gardes lui firent une grande révérence, et l’on courut dire à la Belle aux Cheveux d’Or qu’Avenant, ambassadeur du roi son plus proche voisin, demandait à la voir. Sur ce nom d’Avenant, la princesse dit : « je gagerais qu'il est joli et qu'il plaît à tout le monde.
-Vraiment oui, madame, lui dirent toutes ses filles d’honneur : nous l’avons vu du grenier où nous accommodions votre filasse et tant qu’il est demeuré sous les fenêtres nous n’avons pu rien faire.
-Voilà qui est beau, répliqua la Belle aux Cheveux d’Or, de vous amuser à regarder les garçons ! Ça, que l’on me donne ma grande robe de satin bleu brodée et que l’on éparpille bien mes blonds cheveux ; que l’on me fasse des guirlandes de fleurs nouvelles, que l’on me donne mes souliers hauts et mon éventail ; que l’on balai ma chambre et mon trône, car je  veux qu’il dise partout que je suis vraiment la Belle aux Cheveux d’Or. »
Voilà toutes ses femmes qui s’empressaient de la parer comme une reine. Elles montraient tant de hâte qu’elles s’entre-cognaient et n’avançaient guère. Enfin la princesse passa dans sa galerie aux grands miroirs, pour voir si rien ne lui manquait. Puis elle monta sur son trône d’or, d’ivoire et d’ébène, qui sentait comme un baume, et elle commanda à ses filles de prendre des instruments et de chanter tout doucement pour n’étourdir personne.
On conduisit Avenant dans la salle d’audience. Il demeurait transporté d’admiration, qu’il a dit depuis bien des fois, qu’il ne pouvait presque parler.  Néanmoins il reprit courage et fit sa harangue à merveille : il pria la princesse qu’il n’eût pas le déplaisir de s’en retourner sans elle.
« Gentil Avenant, lui dit-elle, toutes les raisons que vous venez de me conter sont fort bonnes et je vous assure que je serais bien aise de vous favoriser plus qu’un autre. Mais il faut que vous sachiez qu’il y a un mois je fus me promener sur la rivière avec toutes mes dames : et comme l’on me servit ma collation, en ôtant mon gant, je tirai de mon doigt une bague qui tomba par malheur dans la rivière. Je la chérissais plus que mon royaume. Je vous laisse à juger de quelle affliction cette perte fut suivie. J’ai fait serment de m’écouter jamais aucune proposition de mariage, que l’ambassadeur qui me proposera un époux ne me rapporte ma bague. Voyez à présent ce que vous avez à faire là-dessus car quand vous me parleriez quinze jours et quinze nuits, vous ne me persuaderiez pas de changer de sentiment. »
venant demeura bien étonné de cette réponse. Il lui fit une profonde révérence et la pria de recevoir le petit chien, le panier et l’écharpe, mais elle lui répliqua qu’elle ne voulait point de présents et qu’il songeât à ce qu’elle venait de lui dire.
Quand il fut retourné  chez lui, il se coucha sans souper. Son petit chien, qui s’appelait Cabriole, ne voulut pas souper non plus : il vint se mettre auprès de lui. De toute la nuit, Avenant ne cessa point de soupirer. « Où puis-je prendre une bague tombée depuis un mois dans une grande rivière ? disait-il : c’est folie d’essayer. La princesse ne m’a dit cela que pour me mettre dans l’impossibilité de lui obéir. »
Il soupirait et s’affligeait très fort. Cabriole, qui l’écoutait, lui dit : »Mon cher maître, je vous prie, ne désespérez point de votre bonne fortune : vous êtes trop aimable  pour n’être pas heureux. Allons, dès qu’il fera jour, au bord de la rivière. »
Avenant lui donna deux petits coups de la main et ne répondit rien, mais, tout accablé de tristesse, il s’endormit.
Cabriole, voyant le jour, cabriola tant qu’il l’éveilla et lui dit : « Mon maître, habillez-vous et sortons. » Avenant le voulut bien. Il se lève, s’habille et descend dans le jardin et du jardin, il va insensiblement au bord de la rivière où il se primait son chapeau sur les yeux et ses bras croisés l’un sur l’autre, ne pensant qu’à son départ, quand tout d’un coup il entendit qu’on l’appelait :
« Avenant ! Avenant ! » Il regarde de tous côtés et ne voit personne ; il crut rêver. Il continue sa promenade, on le rappelle : « Avenant ! Avenant !
-Qui m’appelle ? » dit-il
Cabriole, qui était fort petit et qui regardait de près l’eau, lui répliqua : »Ne me croyez jamais, si ce n’est une carpe dorée que j’aperçois. »
Aussitôt la grosse carpe parait, et lui dit : « Vous m’avez sauvé la vie dans le pré des Aliziers, où je serais restée sans vous. Je vous ai promis de vous le revaloir. Tenez, chez Avenant, voici la bague de la Belle aux Cheveux d’Or. »
Il se baissa et la prit dans la gueule de ma commère la carpe, qu’il remercia mille fois.
Au lieu de retourner chez lui, il fut droit au palais avec le petit Cabriole, qui était bien aise d’avoir fait venir son maître au bord de l’eau. On alla dire à la princesse qu’il demandait à la voir. « Hélas ! dit-elle, le pauvre garçon vient prendre congé de moi, il a considéré que ce que je veux est impossible, et il va le dire à son maître. »
On fit entrer Avenant, qui lui présenta sa bague et lui dit : « Madame la princesse, voilà votre commandement fait ; vous plait-il recevoir le roi mon maître pour époux ? »
Quand elle vit sa bague où il ne manquait rien, elle resta si étonnée, qu’elle croyait rêver. « Vraiment, dit-elle, gracieux Avenant, il faut que vous soyez favorisé par quelque fée, car naturellement cela n’est pas possible.
-Madame, dit-il, je n’en connais aucune, mais j’avais bien envie de vous obéir.
-Puisque vous avez si bonne volonté, continua-t-elle, il faut que vous me rendiez un autre service, sans lequel, je ne me marierai jamais. Il y a un prince, qui n’est pas éloigné d’ici, appelé Galifron, lequel s’était mis dans l’esprit de m’épouser. Il me fit déclarer son dessein avec des menaces épouvantables, que si je le refusais, il désolerait mon royaume. Mais jugez si je pouvais l’accepter : c’est un géant qui est plus haut qu’une haute tour ; il mange un homme comme un singe mange un marron. Quand il va à la campagne, il porte dans ses poches de petits canons, dont il se sert de pistolets, et, lorsqu’il parle bien haut, ceux qui sont près de lui deviennent sourds. Je lui fis répondre que je ne voulais point me marier, et qu’il m’excusât. Depuis, il n’a cessé de me persécuter ; il tue tous mes sujets et, avant toute chose, il faut vous battre contre lui et m’apporter sa tête. »
Avenant demeura un peu étourdi de cette proposition. Il rêva quelques temps, puis il dit : « Eh bien, madame, je combattrai Galifron. Je crois que je serai vaincu, mais je mourrai en homme brave. »
La princesse resta bien étonnée : elle lui dit mille choses pour l’empêcher de faire cette entreprise. Cela ne servit à rien ; il se retira pour aller chercher des armes et tout ce qu’il lui fallait. Quand il eut ce qu’il voulait, il remit le petit Cabriole dans son panier, monta sur son beau cheval, et fut dans le pays de Galifron. Il demandait de ses nouvelles à ceux qu’il rencontrait, et chacun lui disait que c’était un vrai démon dont on n’osait s’approcher : plus il entendait dire cela, plus il avait peur. Cabriole le rassurait, en lui disant : « Mon cher maître, pendant que vous vous battrez, j’irai lui mordre les jambes, il baissera la tête pour me chasser, et vous le tuerez. » Avenant admirait l’esprit du petit chien, mais si savait assez que son secours ne suffirait pas.
Enfin, il arriva près du château de Galifon. Tous les chemins étaient couverts d’os et de carcasses d’hommes qu’il avait mangés ou mis en pièces. Il ne l’attendit pas longtemps, qu’il le vit venir à travers  un bois. Sa tête dépassait les plus grands arbres, et il chantait d’une voix épouvantable :
                        Où sont les petits enfants
                        Que je les croque à belles dents ?
                        Il m’en faut tant, tant et tant,
                        Que le monde n’est suffisant

Aussitôt, Avenant se mit à chanter sur le même air :
                        Approche : voici Avenant
                        Qui t’arrachera les dents
Bien qu’il ne soit pas des plus grands
            Pour te battre il est suffisant.

Les rimes n’étaient pas bien régulières, mais il fit la chanson fort vite et c’est même un miracle qu’il ne la fit pas plus mal, car il avait horriblement peur. Quand Galifron entendit ces paroles, il regarda de tous côtés et aperçut Avenant l’épée à la main, qui lui dit deux ou trois injures pour l’irriter. Il n’en fallut pas tant : il se mit dans une colère effroyable, et prenant une massue toute de fer, il aurait assommé du premier coup le gentil Avenant, sans un corbeau qui vint se mettre sur le haut de sa tête, et avec son bec lui donna si juste dans les yeux, qu’il les creva. Son sang coulait sur son visage. Il était comme un désespéré, frappant de tous côté. Avenant l’évitait et lui portait de grands coups d’épée qu’il enfonçait jusqu’à la garde, et qui lui faisaient mille blessures, par où il perdit tant de sang qu’il tomba. Aussitôt Avenant lui coupa la tête, bien ravi d'avoir été si heureux ; et le corbeau, qui s’était perché sur un arbre lui dit : « Je n’ai pas oublié le service que vous me rendîtes en tuant l’aigle qui me
poursuivait. Je vous promis de m’en acquitter, je crois l’avoir fait aujourd’hui.
-C’est moi qui vous dois tout, monsieur du Corbeau, répliqua Avenant, je demeure votre serviteur. »
Il monta aussitôt à cheval, chargé de l’épouvantable tête de Galifron.
Quand il arriva dans la ville, tout le monde le suivait et criait : «Voici le brave Avenant qui vient de tuer le monstre », de sorte que la princesse, qui entendit bien du bruit et qui tremblait qu’on ne lui vint apprendre la mort d’Avenant, n’osait demander ce qui lui était arrivé.  Mais elle le vit entrer. Avenant  avec la tête du géant, qui ne laissa pas de lui faire encore peur, bien qu’il n’y eût plus rien à craindre.
« Madame, lui dit-il, votre ennemi est mort, j’espère que vous ne refuserez plus le roi mon maître ?
-Ah !si fait, dit la Belle aux  Cheveux d’Or, je le refuserai si vous ne trouvez moyen, avant mon départ, de m’apporter de l’eau de la grotte ténébreuse. Il y a proche d’ici une grotte profonde qui a bien six lieues de tour. On trouve à l’entrée deux dragons qui empêchent qu’on y entre. Ils ont du feu dans la gueule et dans les yeux. Puis, lorsqu’on est dans la grotte, on trouve un grand trou dans lequel il faut descendre, il est plein de crapauds, de couleuvres, de serpents. Au fond du trou, il y a une petite cave où coule la fontaine de beauté et de santé : c’est de cette eau que je veux absolument. Tout ce qu’on en lave devient merveilleux ; si l’on est belle, on demeure toujours belles ; si l’on est laide, on devient belle ; si l’on est jeune, on reste jeune ; si l’on est vieille, on devient jeune. Vous jugez bien, Avenant, que je ne quitterai pas mon royaume sans en emporter.
-Madame, lui dit-il, vous êtes si belle  que cette eau vous est bien inutile, mais je suis un malheureux ambassadeur dont vous voulez la mort : je vais aller chercher ce que vous désirez, avec la certitude de n’en pouvoir revenir. »
La Belle aux Cheveux d’Or ne changea point de dessein et Avenant partit avec le petit chien Cabriole pour aller à la grotte ténébreuse chercher de l’eau de beauté. Tous ceux qu’il rencontrait sur le chemin disaient : « C’est une pitié de voir un garçon si aimable aller se perdre de gaieté de cœur ; il va seul à la grotte, et quand irait-il accompagné de cent braves, il n’en pourrait venir à bout. Pourquoi la princesse ne veut-elle que des choses impossibles ? »
Il continuait de marcher et ne disait pas un mot mais il était bien triste.
Il arriva vers le haut de la montagne où il s’assit pour se reposer un peu et il laissa paître son cheval et courir Cabriole après des mouches. Il savait que la grotte ténébreuse n’était pas loin de là, il regardait s’il ne la verrait point. Enfin il aperçut un vilain rocher noir comme de l’encre, d’où sortait une grosse fume et, au bout d’un moment, un des dragons qui jetait du feu par les yeux et par la gueule. Il avait le corps jaune et vert, des griffes et une longue queue qui faisait plus de cent tours. Cabriole vit tout cela, il ne savait où se cacher, tant il avait peur.
Avenant, tout résolu de mourir, tira son épée, descendit avec une fiole que la Belle aux Cheveux d’Or lui avait donnée pour la remplir de l’eau de beauté. Il dit à son petit chien Cabriole : »c’en est fait de moi ! Je ne pourrai jamais avoir de cette eau qui est gardée par des dragons. Quand je serai mort, remplis la fiole de mon sang et porte-la à la princesse, pour qu’elle voie ce qu’elle me coûte et puis, va trouver le roi mon maître et conte-lui mon malheur. »
Comme il parlait ainsi, il entendit qu’on l’appelait : »Avenant ! Avenant ! »
Il dit : « Qui m’appelle ? » et il vit un hibou dans le trou d’un vieil arbre, qui lui dit : »Vous m’avez retiré du filet des chasseurs où j’étais pris, et vous me sauvâtes la vie, je vous promis que je vous le revaudrais : en voici le temps. Donnez –moi votre file, je sais tous les chemins de la grotte ténébreuse ; je vais vous chercher de l’eau de beauté. »
Dame ! Qui fut bien aise ? Je vous le laisse à penser. Avenant lui donna vite la fiole et le hibou entra sans nul empêchement dans la grotte. En moins d’un quart d’heure, il revint apporter la bouteille bien bouchée. Avenant fut ravi. Il le remercia de tout son cœur et, remontant la montagne, il prit le chemin de la ville bien joyeux.
Il alla droit au palais, il présenta la fiole à la belle aux Cheveux d’Or, qui n’eut plus rien à dire ; elle remercia Avenant, et donna ordre à tout ce qu’il fallait pour partir, puis elle se mit en voyage avec lui. Elle le trouvait bien aimable et lui disait quelquefois : « Si vous aviez voulu, je vous aurais fait roi, nous ne serions point partis de mon royaume. » Mais il répondit : « Je ne voudrais pas faire un si grand déplaisir à mon maitre pour tous les royaumes de la terre, quoique je vous trouve plus belle que le soleil.. 

Enfin, ils arrivèrent à la grande ville du roi qui, sachant que la Belle aux Cheveux d’Or venait, alla au-devant d’elle et lui fit les plus beaux présents du monde. Il l’épousa avec tant de réjouissances que  l’on ne parlait d’autre chose. Mais la Belle aux Cheveux d’Or, qui aimait Avenant dans le fond de son cœur, n’était heureuse que quand elle le voyait, et le louait toujours. « Je ne serais point venue sans Avenant, dit-elle au roi. Il a fallu qu’il ait fait des choses impossibles pour mon service : vous lui devez être obligé. Il m’a donné de l’eau de beauté : je ne vieillirai jamais, je serai toujours belle.. »
Les envieux qui écoutaient la reine dirent au roi : »Vous n’êtes point jaloux, et vous  avez sujet de l’être. La reine aime si fort Avenant qu’elle en perd le voir et le manger. Elle ne fait que parler de lui et des obligations que vous lui avez, comme si tel autre que vous auriez envoyé n’en eût pas fait autant.
Le  roi dit : « Vraiment, je m’en aperçois, qu’on aille le mettre dans la tour avec les fers aux pieds et aux mains. »
On prit Avenant, et, pour sa récompense d’avoir si bien servi le roi, on l’enferma dans la tour avec les fers aux pieds et aux mains. Il ne voyait personne que le geôlier qui lui jetait un morceau de pain noir par un trou et de l’eau dans une écuelle de terre. Pourtant, son petit chien Cabriole ne le quittait point : il le consolait et venait lui dire toutes les nouvelles.
Quand la Belle aux Cheveux d’Or sut la disgrâce, elle se jeta aux pieds du roi et, tout en pleurs, elle le pria de faire sortir Avenant de prison. Mais plus elle le priait, plus il se fâchait, songeant : « C’est qu’elle l’aime » et il ne voulut rien faire. Elle n’en parla plus, elle était bien triste.
Le roi s’avisa qu’elle ne le trouvait peut-être pas assez beau ; il eut envie de se frotter le visage avec de l’eau de beauté, afin que la reine l’aimât plus qu’elle ne faisait. Cette eau était dans une fiole sur le bord de la cheminée de la chambre de la reine, elle l’avait mise là pour la regarder plus souvent. Mais une de ses femmes de chambre, voulant tuer une araignée avec un balai, jeta par malheur la fiole par terre, qui se cassa, et toute l’eau fut perdue. Elle balaya vivement et, ne sachant que faire, elle se souvint qu’elle avait vu dans le cabinet du roi une fiole toute semblable, pleine d’eau claire comme était l’eau de beauté. Elle la prit adroitement sans rien dire, et la porta sur la cheminée de la reine.
L’eau qui était dans le cabinet du roi servait à faire mourir les princes et les grands seigneurs quand ils étaient criminel : au lieu de leur couper la tête ou de les pendre, on leur frottait le visage de cette eau : ils s’endormaient et ne se réveillaient plus.  Un soir donc, le roi prit la file et se frotta bien le visage, puis il s’endormit et mourut. Le petit chien Cabriole l’apprit parmi les premiers et ne manqua pas de l’aller dire à Avenant, qui lui dit d’aller trouver la Belle aux Cheveux d’Or et de la faire souvenir du pauvre prisonnier.
Cabriole se glissa doucement dans la presse, car il y avait grand bruit à la cour pour la mort du roi. Il dit à la reine : « Madame, n’oubliez pas le pauvre Avenant. » Elle se souvint aussitôt des peines qu’il avait souffertes à cause d’elle et de sa grande fidélité. Elle sortit sans parler à personne et fut droit à la tour  où elle ôta elle-même les fers des pieds et des mains d’Avenant. Et, lui mettant une couronne d’or sur la tête et le manteau royal sur les épaules elle lui dit : « Venez, aimable Avenant, je vous fais roi et vous prends pour mon époux. »
Il se jeta à ses pieds et la remercia. Chacun fut ravi de l’avoir pour maître  Il se fit la plus belle noce du monde et la Belle aux cheveux d’Or vécut longtemps avec le bel Avenant, tous deux heureux et satisfaits.

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