dimanche 17 février 2013

Marco Polo Et Ses Voyages De Pierre Racine


Il fallait une belle audace au jeune Marco Polo pour se lancer, au XIIIe siècle, à la découverte d’un monde inconnu. Une audace, au demeurant, largement partagée : l’Europe grouillait de chevaliers désireux de se rendre en Terre Sainte, d’aventuriers avides d’explorer des contrées inconnues ou, plus simplement, de marchands en quête de nouveaux débouchés.
A 15 ans, le jeune Vénitien Marco Polo a-t-il vraiment eu le choix ? il mettait ses pas dans ceux de son père, Niccolo Polo et de son oncle, Matteo, lesquels reprenaient le chemin de l’Asie, décidés à honorer le mandat que leur avait confié le grand Khan.
Cette fois, Marco était du voyage, les oreilles bourdonnantes des fabuleux récits rapportés par ce père qu’il connaissait si mal, étant né (en 1254) peu après son premier départ pour l’Asie. S’il s’agissait de découvrir un nouveau monde, d’accomplir une mission au nom de la papauté pour contenter le grand Khan, avide d’en savoir davantage sur le christianisme, il n’était pas question pour lui de voyager  en dilettante. Issu d’une famille de marchands, Marco Polo devait effectuer son apprentissage, découvrir sur le terrain ce métier où le savoir-faire et une belle assurance peuvent conduire à un réel enrichissement.
Etrange et fascinant personnage ! Pour lui, l’or, les épices et la soie seront au rendez-vous. Sous le voyageur Marco Polo, le commerçant habile allait bientôt apparaitre. Mais la formation du petit marchant irait au-delà du négoce.
Avant lui, d’autres Européens s’étaient rendus chez les Mongols, comme Jean du Plan Carpin pour l’Eglise, ou Guillaume de Rubrouck au nom des lys de France, sans même parler du premier voyage de son père et de son oncle. Mais, contrairement à eux tous, Marco sera, lui, au service du grand Khan pendant dix-sept ans, accomplissant en son nom diverses missions officielles qui le conduiront aussi bien en Chine qu’en Inde. Après son retour en Italie, en 1925, vêtu d’un étrange costume, parlant le « tartare », il dictera le récit de ses aventures et révolutionnera d’une certaine manière l’Europe et... le monde.
Sans Marco Polo, Christophe Colomb, qui a lu et annoté son livre « parmi d’autres », aurait-il abordé les rives de l’Amérique en croyant découvrir l’Inde ? On peut légitimement en douter.
Au service de l’empereur Kubilay
Dans l’ouvrage qu’il consacre au Vénitien et à ses voyages, biographie non linéaire de cette étrange vie, Pierre Raine, professeur émérite en histoire médiévale à l’université Marc-Bloch de Strasbourg, montre avec maints détails, la portée de l’odyssée chinoise de son personnage. Sous les yeux étonnés du lecteur se dresse un véritable panorama géopolitique, qui a probablement échappé à son héros mais qui n’en repose pas moins sur la réalité de son voyage et la relation qu’il en fit.
Paradoxalement, un véritable déplacement s’effectue. Plus que le voyage de trois ans et le séjour asiatique, le récit que Marco Polo en fit acquiert une dimension supérieure. Celui qui revient en Europe n’est plus un adolescent. C’est un homme fait, qui s’est formé au service de l’empereur Kubilay, dans un univers aux antipodes culturels et religieux de sa ville natale. C’est aussi un homme riche. Comme tous ceux de cette époque, son attachement à sa cité est resté vivace, malgré le temps et l’éloignement. Il arme donc une galère et participe –encore la géopolitique !- à la guerre contre Gênes, ennemie toujours aussi encombrante. Après l’Asie, c’est comme le deuxième tournant de sa vie. Alors qu’il est fait prisonnier, il aurait dicté en prison à Rustichello de Pise, Le Devisement du monde, qui portera bien d’autres titres comme Le Livre des merveilles ou Le Livre du million de merveilles du monde.
« Quel était le véritable but de l’auteur ? » s’interroge justement Pierre Racine. Proposer un simple récit de voyage ou un manuel de commerce ? Un guide touristique avant la lettre ou un plaidoyer prodomo destiné à vanter ses mérites ? C’est vrai que Marco Polo n’hésite pas sur l’hyperbole, il passe quasiment sous silence la présence de son père et de son oncle et se met avec complaisance en scène. Mais en même temps, Le Devisement  foisonne de renseignements chiffrés, de descriptions des itinéraires ou des richesses découvertes. D’ailleurs, les documents chinois confirmeront plus tard bien des indications apportées par lui, preuve qu’il n’était pas un affabulateur. La véritable portée de son livre apparaît ainsi, comme le remarque Pierre Racine : « A ce grand voyageur, habile à rassembler tout ce qui l’avait frappé, au cours des vingt-cinq années où il avait été absent de son domicile familial, l’humanité a dû des révélations appelées à bouleverser la vie du monde de son temps et des siècles postérieurs. »
On ne saurait être plus explicite sur l’importance de Polo et du Devisement, qui n’échapperont pas, d’ailleurs à la corporation des pasticheurs ou au monde du cinéma, du théâtre et même des ballets.
Mort à Venise, sa ville natale
Après que l’ouvrage eut rencontré un large succès, que pouvait devenir son auteur, dont les yeux scintillaient encore des richesses de la Chine lointaine ? Repartir ? Visiblement, il n’en a pas eu le courage et encore moins l’envie. Le grand Khan, il est vrai avait fait des difficultés à le laisser rentrer. Ecrire d’autres ouvrages ? Mais à partir de quelle matière ? Et de toute façon, il savait combien le succès du Devisement reposait sur le talent de conteur de Rustichello, le transcripteur de ses Mémoires. Plus sagement, polo prendra épouse, verra naître trois filles et occupera sa place parmi les personnalités de Venise, avant de mourir en 1324. Sans le savoir, à partir des notes de son voyage, il avait illustré le mode du reportage que beaucoup d’autres suivront plus tard. Marco Polo, notre grand ancien.
 Marco Polo et ses voyages, de Pierre Racine.
Perrin, 450p. 24€
 Source : Le Figaro Magazine février 2012

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