lundi 4 février 2013

La Maison de Balzac


« Je les écris à huit heures du matin,  au rayon d’un beau soleil qui entre par ma croisée et qui enveloppe d’une écharpe rouge mon bureau, mes draperies et mes papiers. Est-ce assez de présages ? Faut-il y croire ? On n’a pas d’idée de la beauté de cette matinée. C’est un ciel bleu, quelques nuages pour en rehausser l’éclat, les cimes des éminences d’Issy, de Meudon sont baignées de lumière ; je les vois en vous écrivant. Non ! si Dieu annonce le bonheur, ce doit être ainsi ! »
Balzac a écrit ces lignes à sa comtesse russe bien-aimée –EvelYne Hanska – au matin du 1er janvier 1844 depuis le cabinet de travail de son modeste appartement de Passy, village alors indépendant, qui devait être rattaché à Paris en 1860. Ses paroles allaient se révéler prophétiques. Fuyant ses créanciers après de désastreux investissements consacrés à un essai de plantation d’ananas dans sa propriété des  Jardies, à Sèvres, Balzac s’était réfugié dans son appartement de la rue Basse (devenue la rue Raynouard) où il vécut et écrivit d’Octobre 1840 à avril 1847. C’est dans cette maison du XVIIIe siècle –désormais connue sous le nom de « maison de Balzac) – qu’il allait corriger la totalité de La Comédie humaine et écrire certaines de ses plus grandes œuvres : Une ténébreuse affaireLa RabouilleuseSplendeurs et Misère des courtisansLa Cousine Bettele Cousin Pons, etc..
Cette résidence devint non seulement un lieu de productivité fébrile, mais aussi un refuge commode, à deux pas de la capitale. Quittant sa retraite par l’accès de la rue du Roc (aujourd’hui rue Berton), Balzac pouvait facilement gagner la route de Versailles (aujourd’hui avenue de New York) et atteindre le centre de Paris par le bac ou le coche d’eau.
Les rares visiteurs mis dans le secret de sa retraite devaient d’abord traverser une maison de la rue Basse (aujourd’hui disparue), puis descendre quelques marches et traverser une petite cour, avant d’atteindre la retraite de l’écrivain.
Bien que le quartier ait beaucoup changé, les visiteurs de la maison de Balzac peuvent toujours bénéficier d’un délicieux refuge contre les fumées parisiennes, dans le verdoyant jardin qui domine la cité, où l’écrivain aimait à cueillir les premiers lilas et les premières roses de la saison.
Vivant là sous le pseudonyme de monsieur de Breugnol –inspiré par le nom de sa gouvernante, Louise Breugniot, et que l’on retrouve dans ses romans sous la forme de « Mme de Breugnol » ou « Brugnol »- Balzac occupait cinq pièces : une salle à manger, une chambre à coucher un salon, un bureau, une chambre d’ami et une cuisine. En 1910, la vieille demeure du XVIIIe siècle a été sauvée de la démolition et transformée en musée privé. La Ville de Paris l’a pris en charge en 1949, un an avant le centenaire de la mort de Balzac.
Aujourd’hui, l’ensemble restauré inclut l’appartement de Balzac sur le jardin, ainsi que les pièces et les dépendances occupées à l’origine par d’autres locataires ; il se déploie sur trois niveaux entre la rue Raynouard et la rue Berton. Le rez-de-chaussée donnant sur la rue Berton.- correspondant aux anciennes écuries et à des logements –abrite à présent une belle bibliothèque de plus de dix mille volumes et manuscrits, accessibles aux chercheurs qui viennent du monde entier pour y travailler.
Seul le cabinet de travail est virtuellement conservé tel qu’il était au temps de Balzac, avec ses murs tendus e velours grenat, ses fenêtres de verre coloré, sa table de bois et son fauteuil à haut dossier, recouvert de tapisserie. Il est aisé de s’imaginer l’écrivain dans sa défroque de moine, « attelé » à cette petite table qui, comme il l’écrivait à Mme Hanska «  a vu toutes mes misères, connu tous mes projets, entendu toutes mes pensées, mon bras l’a presque usée à force de s’y promener quand j’écris »
Parmi les quelques objets personnels du cabinet de travail, on remarquera la cafetière de porcelaine rouge et blanc, frappée des initiales du romancier, qi rappellera l’usage qu’il faisait de ce breuvage auquel il attribuait un grand pouvoir d’inspiration. On verra aussi deux marbres réalisés du vivant de Balzac ; le premier, par Alessandro Puttinati, montre l’écrivain dans sa célèbre robe de moine ; le second est une tête massive, signée David d’Angers.
D’après la correspondance de Balzac, les murs du cabinet de travail étaient jadis couverts de représentations, mais il n’en reste que deux : un portrait de Mme Hanska et une gravure montrant son château de Wierzschownia, domaine qu’elle possédait au bord d’un lac ukrainien.
Face à la table de travail se trouve un christ de bois dans un cadre précieux que Balzac attribuait à Edme Bouchardon. Désireux d’impressionner la riche Mme Hanska, qu’il courtisait à cette époque, Balzac écrivait à ce sujet : «  Je possède cher ange, un chef-d’œuvre de christ sculpté ! C’est un christ en bois par Boucheron, estimé 3.000 francs et que Mme de Brugnol a pu acquérir par accident pour 150 francs. ! » Le romancier, collectionneur invétéré d’antiquités et de bibelots, tendait à exagérer la valeur de ses « trouvailles » et il a commis bien des erreurs ( La provenance réelle du christ n’a jamais été définitivement établie)
Les vrais chefs-d’œuvre, naturellement sont les romans de Balzac, comptant plus de trois mille personnages dont l’arbre généalogique complet orne le rez-de chaussée du musée. Balzac vivait dans la rue Basse lorsqu’il conclut avec ses éditeurs Furne, Hetzel, Paulin et Dubochet le contrat qui leur accordait l’exclusivité d’impression et de vente de ses œuvres complètes, sous le titre collectif de La Comédie humaine.
Les visiteurs désireux d’en apprendre davantage sur la famille et sur l’entourage de l’écrivain ne seront pas déçus. La maison de Balzac expose des portraits de ses parents et de sa sœur aînée Laure, à qui il a dédié Un début dans la vie. Le  père du romancier, Bernard-François Balzac, avocat passionné de la liberté et disciple des encyclopédistes, réussit à prospérer avant comme après la Révolution. Engagé dans une carrière municipale, il finit par être élu député maire de Tours. En 1814, il vint prendre sa retraite à Paris, avec sa famille, doté d’une confortable pension. Il mourut le 19 juin 1829, l’année même où son fils publiait Les Chouans, premier roman écrit sous son vrai nom.
Parvenu à l’âge de cinquante et un ans, Bernard –François avait épousé Laure Sallembier –future maire de l’écrivain – âgée de dix-neuf ans, héritière d’une riche famille de drapiers parisiens ; ses portraits nous montrent une coquette plutôt jolie et probablement cultivée. Elle ne semble avoir guère éprouvé de tendresse pour son fils, et Balzac lui en voulut,pour cela, une bonne partie de sa vie.
Le musée consacre une salle entière aux portraits et aux souvenirs de celle qui allait jouer un rôle essentiel dans la vie de Balzac, Evelyne Hanska, née en 1805 dans une riche famille de la noblesse polonaise. Une délicate miniature sur ivoire, peinte au moment de son mariage avec le comte Hanski, montre une femme vive et sensible, avec une chevelure noire bouclée et des yeux séduisants. Parlant couramment le français et l’allemand, Mme Hanska rencontra d’abord Balzac à travers ses livres ; de 1832 à 1848, le romancier entretint une abondante correspondance avec celle qu’il devait appeler « L’Etrangère »
La première rencontre réelle eut lieu en septembre 1833, à Neuchätel, en Suisse, où Mme Hanska passait ses vacances avec son mari. Balzac la revit l’année suivante, à Genève, et l’année d’après à Vienne – puis il y eut un intervalle de huit ans avant leurs retrouvailles à Saint-Pétersbourg. Lorsque le comte Hanska mourut en 1841, Balzac espéra pouvoir épouser sa chère comtesse, mais elle hésita longtemps, repoussant constamment tout projet de mariage.
Désireux d’assurer à sa maîtresse adorée qu’elle pourrait continuer à vivre dans le luxe, selon le style qui lui était coutumier, le romancier acheta un appartement rue Fortunée (aujourd’hui rue Balzac) en septembre 1846. il aménagea lui-même la décoration intérieure jusqu’au moindre détail, dépensant des milliers de francs en antiquités et autres brocantes de luxe.
Balzac passa les deux dernières années de sa courte vie à Wierzschownia, sur les terres de Mme Hanska, mais la couple ne se maria que le 14 mars 1850, à Berditchev. Cinq mois plus tard, le 18 août, à l’âge de cinquante et un ans, Balzac mourait dans son petit palais de la rue Fortunée, sans le réconfort de la présence aimée. La plus grande partie des manuscrits et de la correspondance de l’écrivain fut acquise par un érudit belge, le vicomte Spoelberch de Lovenjoul, qui devait ensuite en faire don à l’Institut de France.
Si la maison de Balzac abrite de fascinants souvenirs sur l’écrivain et sur son entourage, l’objectif du musée est d’être beaucoup plus qu’un sanctuaire dédié à l’un des plus grands romanciers du monde. Selon sa conservatrice, Judith Meyer-Petit, ses collections sont en continuelle expansion et des expositions temporaires consacrées à l’œuvre  et à l’époque de l’écrivain sont organisée toute l’année. « Ces expositions attestent de la modernité de La Comédie humaine, dit-elle. La maison de Balzac est en évolution constante, c’est un organisme vivant, à l’instar de La Comédie humaine. »


47 rue Raynouard
75016 Paris
Tel : 01 42 24 56 38

Ouvert du mardi au dimanche
De 10h à 17h 40

Métro : Passy, la Muette
Autobus 32, 52, 71

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire