mardi 15 janvier 2013

Le Canard-Les Contes Du Chat Perché




A  plat ventre dans le pré, Delphine et Marinette étudiaient  leur géographie dans le même livre ; il y avait un canard qui allongeait le cou entre leurs deux têtes pour regarder les cartes et les images.
C’était un joli canard. Il avait la tête et le cou bleus, le jabot couleur de rouille et les ailes rayées bleu et blanc. Comme il ne savait pas lire, les petites lui expliquaient les  images et lui parlaient des pays dont le nom était marqué sur les cartes.
-Voici la Chine, dit Marinette. C’est un pays où tout le monde a la tête jaune et les yeux bridés.
-Les canards aussi ? demande le canard.
-Bien sûr. Le livre n’en parle pas. Mais ça va de soi.
-Ah, la géographie est une belle chose... Mais ce qui doit être plus beau encore, c’est de voyager. Moi, je me sens un envie de voyager, si vous saviez...
-Quelle bonne idée ! dit Marinette. A ta place, je partirais dès demain matin.
Le canard était tout agité à l’idée d’un départ aussi rapide. Il soulevait ses  ailes, sautait sur le tablier de Marinette et ne savait plus où donner de la tête ; mais, décidé au voyage, il a passé le reste de la journée en compagnie des deux petites à apprendre la géographie à fond. Les fleuves, les rivières, les villes, les océans, les montagnes, les routes, les chemins de fer. Il a su tout par cœur.
En allant se coucher, il avait mal à la tête. Heureusement à partir de minuit, il a eu un bon sommeil tranquille, et la première heure du jour l’a trouvé bien reposé. Toutes les bêtes de la ferme étaient réunies dans la cour pour assister à son départ.
-Adieu, canard, et ne sois pas trop longtemps, disaient la poule, le cheval, la vache, le mouton.
-Adieu, et ne nous oublie pas, disaient le bœuf, le chat, le veau, le dindon.
-Bon voyage, disaient toutes les bêtes.
Le vieux cheval pleurait en pensant qu’il ne verrait plus son ami.
Le canard est parti d’un bon pas sans se retourner.

D’après Marcel Aymé
Les contes du chat perché
Ed. Gallimard

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